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Lecture d'une œuvre intégrale

Avant-propos

La réflexion actuelle sur le « sujet-lecteur » ou, pour parler des situations scolaires, sur « l’élève-lecteur » nous a conduits à interroger la pratique de la lecture de l’oeuvre intégrale au lycée. Il s’agit pour nous de nous questionner sur les finalités de celle-ci, entre exigences des programmes et des examens et pratiques réelles de lecture des adolescents, entre didactique de la lecture et didactique de la littérature.

Nos constats de praticiens dans nos propres classes et notre expérience d’enseignants interrogateurs au moment du baccalauréat mettent en évidence la difficulté pour l’élève à appréhender l’oeuvre comme un tout de signification et la difficulté pour l’enseignant à laisser une place à l’activité interprétative de l’élève. En effet, nombre d’élèves de lycée résistent à la lecture pour des raisons diverses allant de l’absence de motivation pour des œuvres loin a priori de leur univers de référence à des obstacles liés à la maîtrise de la langue, mais aussi peut-être parce que les pratiques habituelles les laissent parfois seuls et démunis face à la découverte première du texte ; ils se contentent alors de connaître les extraits étudiés en classe et de lire quelques éléments de commentaire dans des ouvrages para-scolaires. Pourtant nous attendons tous, lors de l’entretien des EAF, que le candidat connaisse l’oeuvre, qu’il se la soit appropriée sans se limiter à quelques extraits, qu’il soit capable d’émettre un jugement personnel, en lien avec l’objet d’étude, qu’il ait des connaissances sur celui-ci, qu’il ne récite pas, qu’il assume ce qu’il dit, qu’il soit capable de justifier son propos et d’exprimer le lien avec la problématique.

Nous nous sommes donc demandé comment favoriser le transfert de la compétence de lecture analytique du texte court à la lecture de l’oeuvre intégrale ; pour cela, quelles tâches complexes proposer à l’élève lui permettant d’activer savoirs, savoir-faire et savoir-être ? Quel profil de sortie attendre d’un élève lecteur en fin de lycée et, donc, quelle progression proposer ?

Les travaux proposés sont le fruit d’une réflexion collective étayée par des expérimentations dans différentes classes de lycée.

Différentes modalités de lecture

Il existe différents types de lecture : la lecture analytique de textes courts, la lecture analytique d’une œuvre intégrale et la lecture cursive.

La lecture analytique de textes courts s’exerce sur :

  • les extraits des œuvres étudiées (en classe de 1ère, 3 extraits au minimum pour chacune des 4 œuvres au programme) ;
  • les textes figurant dans les groupements (nommés “parcours associés” en classe de 1ère) ;
  • les textes à commenter.

Les deux premières catégories conduisent à une explication linéaire orale ; la troisième catégorie conduit à l’exercice écrit du commentaire. La lecture analytique du texte court met en œuvre un processus d’interprétation fondé sur les opérations de mise en hypothèses, vérification et validation de ces hypothèses en vue d’une interprétation. L’exercice d’interprétation consiste, pour l’élève, à formuler une signification du texte et à expliciter les effets, les résonances cognitives et affectives que le texte provoque. Elle demande à l’élève-lecteur de se questionner sur son rapport personnel au texte, sur les questions que le texte soulève, sur les choix d’écriture opérés par l’auteur et sur le lien que le texte entretient avec d’autres œuvres, qu’elles soient littéraires ou, plus largement, artistiques.

La lecture analytique d’une œuvre intégrale doit mener à l’appréhension et à la compréhension de l’œuvre dans sa globalité. Elle peut recouvrir la même démarche que la lecture analytique de textes courts et mettre en action la même démarche interprétative, tout en menant à une vision d’ensemble de l’œuvre. Elle peut donc s’appliquer à des extraits beaucoup plus longs, comme l’intégralité d’un chapitre, ou bien à un groupement d’extraits qui permettrait une approche thématique ou structurelle de l’œuvre. Nous posons comme hypothèse que, entre la lecture analytique du texte court envisagée dans le cadre d’un groupement de textes et la lecture interprétative de l’œuvre complète, il existerait une autre modalité de lecture, la lecture analytique d’extraits d’une œuvre intégrale. Ces extraits peuvent être plus ou moins longs et sont appréhendés différemment par les élèves : ils connaissent les personnages, l’intrigue, le registre, la visée ; ils se sont familiarisés avec le style. En analysant plusieurs extraits d’une même œuvre, ils progressent dans leur interprétation de l’œuvre. En conclusion, s’agissant de l’étude d’une œuvre intégrale, une lecture d’extrait nourrit l’interprétation de l’œuvre et la connaissance de l’œuvre nourrit l’interprétation de l’extrait.

La lecture cursive concerne plutôt la lecture d’une œuvre intégrale, bien que l’on puisse aussi envisager la lecture cursive d’un texte court (dans le cadre des “lectures complémentaires”). Elle ne met pas en action une démarche esthétique d’analyse du texte à l’aide de procédures établies mais elle relève plutôt d’une pratique sociale où la lecture vise à enrichir ses connaissances socioculturelles ou littéraires. Toutefois plus le lecteur est expert, plus elle se rapproche d’une lecture esthétique et analytique.

Profil de l’élève lecteur

Les épreuves anticipées de français du baccalauréat évaluent certes les compétences de lecture du lycéen et, parmi les situations proposées, la maîtrise de la lecture d’œuvres complètes permet de pratiquer l’exercice de la dissertation et de tenir un propos personnel et intéressant dans le cadre de l’entretien oral. Toutefois l’épreuve de l’examen n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’une tâche à gérer qui validera un niveau de maîtrise, mais nous avons bien tous conscience que la finalité de notre travail avec les lycéens est la formation d’un lecteur autonome, d’un « sujet-lecteur ».

Le tableau présenté a pour fonction de cerner le profil de cet élève-lecteur que l’on veut former (colonne 1), donc de lister ses compétences à la fin de son parcours au lycée, et de proposer quelques tâches complexes (situations problèmes permettant d’activer savoirs, savoir-faire et savoir-être) qui permettraient soit d’installer ces compétences, soit de les évaluer au cours des années du lycée (colonne 3). La deuxième colonne du tableau (à compléter par chacun en fonction de ses pratiques ou de son public) présente des éléments permettant une différenciation en fonction des difficultés ou des facilités de chacun des élèves, en fonction aussi du moment de l’apprentissage dans le curriculum.

Quelle progression au lycée ?

Proposition d’une progression dans l’installation de la compétence de lecture de l’œuvre intégrale au lycée

Afin de former un élève lecteur d’oeuvres intégrales qui soit à même, au terme de ses études littéraires au lycée, non seulement de maîtriser les savoirs littéraires et les savoir méthodologiques propres à l’exercice formel du baccalauréat, mais d’avoir développé des habitudes qui lui permettront d’exercer son autonomie, son esprit critique et d’éprouver un plaisir esthétique dans le cadre de ses lectures, les équipes d’enseignants de français doivent se préoccuper de mettre en place de manière progressive (et en lien avec ce qui a été fait au collège) les apprentissages indispensables au développement des compétences.

Le tableau présenté propose quelques principes dans le but d’aider les équipes à concevoir cette progression des apprentissages dans le cadre de la lecture d’oeuvre intégrale. Il s’agit d’un écrit de recherche et non d’un document « prêt à l’emploi » que chacun doit s’approprier.

Entrée dans la lecture

Un double constat

La réflexion sur la lecture de l’œuvre intégrale en classe de français fait émerger un double constat.

D’abord, certains élèves ont du mal à lire les œuvres étudiées, parce qu’ils ont des difficultés de lecture, parce que les lectures imposées ne correspondent pas à leurs goûts, parce qu’ils « n’aiment pas lire »… Qui n’a jamais constaté, en fin de séquence, que certains élèves n’avaient toujours pas lu l’œuvre ? D’autres, au contraire, obnubilés par le contrôle de lecture et des détails à retenir, passent à côté de l’œuvre, incapables d’entrer dans une démarche interprétative.

Le second obstacle tient à la problématique de la séquence. En effet, le choix d’un axe d’étude reflète une lecture, souvent celle de l’enseignant, mais non pas la diversité des lectures interprétatives possibles. Or, les élèves finissent par penser, comme pour la lecture analytique du texte court, que seule « une » interprétation est possible et refusent d’entrer dans l’analyse de l’œuvre de peur d’être dans l’erreur.

De nombreux dispositifs existent déjà dans les classes pour faire face aux difficultés et au refus de lecture. Dans les expérimentations effectuées nous proposons que la classe soit le lieu d’un dialogue au sujet de l’acte de lire et de l’œuvre lue. Notre objectif est de résoudre le paradoxe de l’enseignant de lettres, à la fois fidèle aux « droits imprescriptibles du lecteur » et aux référentiels de l’éducation nationale

La lecture collective de l’œuvre intégrale peut être pratiquée en classe : lecture individuelle sur une heure de cours ou d’AP pour permettre de prendre le temps de lire, lecture réalisée par le professeur, extraits de livres audio, mise en voix d’extraits préparés par les élèves pour s’approprier le texte, réalisation de résumés par les élèves plus rapides pour les élèves en difficulté, etc.

Pour certains élèves, la lecture en classe est indispensable pour « apprendre à lire » en restant concentré ou pour littéralement aider au « déchiffrement » de textes dont ils ne maîtrisent parfois plus le vocabulaire ou le contexte.

Pallier les difficultés ou le refus du sujet lecteur

En début d’année, on peut proposer des textes réflexifs sur l’acte de lire. Leur étude permet de changer la perception que les élèves ont de leur statut de lecteur.

A la fin d’une première séquence, un questionnaire sur les pratiques de lecture et les apports du dispositif mis en place peut être distribué dans le but de cibler les difficultés des élèves et de catégoriser des profils de lecteurs. Dans l’exemple proposé, le dépouillement du questionnaire a permis de mieux connaître les élèves, de comprendre leurs réticences face à la lecture, de découvrir des pratiques ou des difficultés insoupçonnées et surtout d’en tenir compte dans leur accompagnement individuel au cours de l’année.

On peut aussi envisager que, après la lecture de l’œuvre intégrale, les élèves participent à l’élaboration de la séquence. En fonction des dispositifs retenus, ils peuvent choisir la problématique et/ou les extraits étudiés en lecture analytique, participer à la délimitation des extraits analysés ou commenter le choix des extraits fait par l’enseignant.

Ces pratiques permettent un véritable échange autour des œuvres et une meilleure implication des élèves. Dans les classes de première, la liste pour l’oral des EAF devient ainsi une production collective et pensée par le groupe classe à partir du travail réalisé.

Lien avec l’écriture

Quelle place pour les travaux d’écriture dans le cadre de la lecture analytique de l’œuvre intégrale ?

La lecture analytique d’une œuvre intégrale ne peut pas être dissociée de l’écriture qui doit accompagner cette lecture notamment dans les fonctions suivantes :

  1. installer des savoirs littéraires ou procéduraux, par exemple « écrire à la manière de » (ex : écrire un alexandrin, un portrait, écrire en utilisant les codes d’un genre ou d’un mouvement littéraire) ;
  2. faire fonctionner le travail interprétatif pour faire entrer dans la lecture ou pour faciliter la compréhension (par exemple rédiger un dialogue entre un metteur en scène et un acteur, donner l’incipit et imaginer la suite, combler les blancs de l’œuvre) ;
  3. rendre compte de sa lecture (par exemple émettre des hypothèses de lecture qui petit à petit s’étoffent, se construisent, tenir un journal de lecture).

Cette écriture peut selon les modalités correspondre aux différents exercices des épreuves anticipées du baccalauréat (écrit d’invention, commentaire ou dissertation).

Exemples de dispositifs

Le propos théorique présenté sur ce site repose sur une série d’hypothèses qui ont été testées et étayées par des mises en œuvre dans des classes de lycée.

Celles-ci ont permis d’enrichir la lecture littéraire d’oeuvres, de développer l’autonomie des sujets-lecteurs et d’appréhender la lecture d’une œuvre de manière plus réflexive et créative.

Ces séquences et dispositifs ont été conçus pour des classes réelles, dans un contexte particulier, et ne peuvent être transposés tels quels ; n’hésitez pas à vous les approprier et à les adapter à vos classes.

Liste des dispositifs