Lire c’est comprendre, c’est-à-dire, pour un lecteur, coordonner l’information lexicale et
syntaxique du texte et connecter cette information avec ses connaissances antérieures. Plus les
opérations de décodage et d’identification des mots sont automatisées, plus l’accès au sens est
efficient. Ce travail systématique est à parachever au cycle 3 en 6ème auprès des élèves lecteurs
déficients.
Savoir lire c’est être capable de se servir d’un écrit pour mener à bien un projet. La lecture est
efficace quand le projet qui l’a provoquée est réalisé.
Au cycle 4, l’objectif de lecture littéraire est de poursuivre le travail de « construction du sens
par la formulation d’hypothèses de lecture fondées sur des indices textuels et qui font l’objet de
justifications et de débats au sein de la classe. » (extrait Programmes 2016) .
L’interprétation incluant l’élaboration d’un jugement argumenté devient progressivement au cycle 4
une tâche centrale. Ainsi, au collège, l’objectif est d’amener l’élève à pouvoir s’emparer des
textes dans une activité de lecture structurée afin de rendre compte de sa compréhension et de son
interprétation du sens du texte.
Des conceptions didactiques de la lecture
Lire c’est comprendre
Au-delà des querelles sur les méthodes, l’approche de l’acte de lire a été réalisée, au fil des
époques, sous plusieurs angles. Retenons-en quelques éléments notables :
L’approche physiologique a mis en évidence le rôle de l’empan visuel, de la perception des
signes de l’écrit porteurs de sens. Ainsi, comme l’a montré J. Foucambert, la vitesse de lecture
agit sur la mémoire de travail devenant ainsi un facteur d’efficacité.
L’approche cognitive a caractérisé le lecteur expert par le développement de techniques et de
démarches qu’on peut résumer ainsi :
Il reconnaît globalement les mots qui appartiennent à son lexique mental ;
Il anticipe sur les informations du texte ;
Il sélectionne les données essentielles et les regroupe dans des unités larges ;
Il pratique l’inférence (production d’informations nouvelles à partir des données du texte) ;
L’approche sociocognitive considère que l’acte de lire présuppose l’existence d’un contexte
dans lequel se développe le projet de lecture. Ce contexte identifié, lire renvoie à :
La production d’hypothèses sur ce que dit ou va dire le texte ;
Le prélèvement d’indices textuels corrélés avec les éléments du contexte ;
La validation des hypothèses confrontées à la chaîne de sens recueillie dans l’avancée du texte
(le lecteur gère la cohérence et conserve ce qui lui paraît acceptable avec le projet qu’il
poursuit)
La prise en charge des éléments ci-dessus fait de la
pédagogie de l’acte de lire un
apprentissage de stratégies du lecteur en lien avec les buts qu’il recherche. Il est important que
les élèves lecteurs déficients disposent d’un accompagnement qui leur permette de se construire un
espace de travail en s’interrogeant sur leurs difficultés et les moyens d’y remédier. Pour cela, au
collège, ce travail doit se faire avec les situations authentiques de lecture de travail (manuels,
leçons) notamment dans les disciplines où l’acte de lire autonome est fréquemment sollicité.
Les travaux de M. Picard constituent notamment une référence majeure dans sa conception de la
lecture comme jeu, comme un rapport dialectique et systémique entre les instances que peut incarner
le lecteur :
le liseur (celui qui accomplit physiquement l’acte de lire),
le lu (celui qui est pris dans le jeu et l’effet de ce qu’il lit),
le lectant (le lecteur conscient qui met à distance).
Nous nous plaçons, avec d’autres didacticiens, dans une conception de la lecture littéraire comme
une activité de résolution de problèmes, générés soit par le texte lui-même soit par le lecteur dans
son activité d’élaboration du sens. Le texte offre une résistance (définie et analysée par C.
Tauveron) plus ou moins grande à son lecteur, résistance qu’il faut considérer comme une composante
ordinaire dans l’acte de lecture. Dans la pratique scolaire, l’élève lecteur n’est pas isolé face à
la tâche, la construction du sens s’élabore collectivement, les hypothèses sont confrontées et le
conflit socio-cognitif permet d’enrichir l’activité interprétative. Cette pratique questionne par
conséquent la posture de l’enseignant, à la fois sujet-lecteur, animateur et référent-expert.
Notre postulat est qu’en rendant les élèves conscients des démarches qu’ils mettent en œuvre, des
savoirs qu’ils mobilisent et des postures qu’ils adoptent, on les aide à construire une première
compétence de lecture littéraire dès le collège. Avant de construire des dispositifs pour sa classe,
il est important que l’enseignant s’approprie le
modèle théorique d’élaboration d’une hypothèse de lecture.
La matrice que nous proposons n’a pas pour vocation d’être dirigiste : elle est un référent pour
l’enseignant qui la traduira en un outil pour l’élève, en veillant à diversifier les démarches
didactiques et pédagogiques.
Lecture littéraire du texte et de l’œuvre intégrale
Parallèlement à la consolidation en 6ème de la compétence de lecture des textes ordinaires de
travail, la lecture littéraire (ou analytique) du texte court et de l’œuvre intégrale doit disposer
d’une progression, de la fin du cycle 3 aux trois années du cycle 4.
Les élèves doivent tout d’abord repérer les éléments textuels significatifs des textes et œuvres
littéraires qui leur sont soumis et les décrire avec une précision croissante (se reporter au modèle
théorique d’élaboration d’une hypothèse de lecture). De la 6ème à la 5ème, il s’agit d’assurer les
apprentissages pour que tous les élèves maîtrisent cette opération.
La progression doit ensuite porter sur l’apprentissage de l’interprétation. Pour assurer aux
élèves un parcours progressif accessible, on met l’accent au cycle 4 sur l’exploration de quatre
champs d’investigation grâce auxquels le lecteur élabore des ressources qu’il peut combiner pour
construire une signification appuyée sur le texte et sur son expérience de sujet-lecteur.
En fin de 4ème et en 3ème, la lecture analytique se complète par une compétence rendre compte,
qui s’ajoute aux compétences décrire et interpréter. Rendre compte c’est transmettre à d’autres
l’interprétation que l’élève a construite en vue de la mettre à l’épreuve de la discussion (cf. le
débat interprétatif).
Champs d’investigation
Le texte et moi
Le lecteur s’immerge dans l’histoire racontée, il s’identifie aux personnages ou se distancie de
leur conduite, leurs idées. Il éprouve des émotions qui le relient à d’autres situations qu’il a
vécues ou connues. C’est un rapport subjectif et singulier qu’il établit avec le texte lu.
Le texte et le monde
Le lecteur s’approprie des informations issues de faits réels ou imaginaires, sous-tendus par
des questions qui interrogent la société, l’humanité, qui développent des controverses, des
débats sur des problématiques sociales, culturelles, historiques, philosophiques…
Le texte et le travail de l’écrivain
Le lecteur repère les choix d’écriture opérés par l’auteur : l’organisation locale et globale du
texte, l’usage de la langue, ce qui caractérise le style. Il convoque des connaissances
linguistiques et langagières issues des activités menées en classe (les genres, les discours,
les stéréotypes…)
Le texte et ses échos culturels
Par rapprochement ou par contraste, le lecteur inscrit le texte dans son contexte et dans la
production artistique contemporaine ou antérieure. Il met en contact les genres, les formes, les
thématiques, les choix esthétiques portés par les différentes formes d’art.
Des dispositifs pour les cycles 3 et 4
Apprendre à construire une hypothèse de lecture
Le
dispositif proposé
peut faire l’objet d’une séquence d’initiation en 6ème : il s’agit d’acquérir la notion d’hypothèse,
soit de repérer dans les documents observés les composantes qui, progressivement, constitueront la
formulation d’hypothèses.La démarche utilisée invite les élèves à effectuer des actes de lecture sur
différents types de documents pour stabiliser et nommer les éléments constitutifs d’une hypothèse de
lecture. Cette démarche sera ensuite réactivée régulièrement à l’occasion des lectures d’œuvres
intégrales et de textes courts.
Ce dispositif peut être intégré à une séquence de consolidation en 5ème, ou en 4ème/3ème, fournir un
outil réflexif aux élèves ayant acquis d’autres approches du texte littéraire.
Apprendre à étayer une hypothèse de lecture
L’activité d’étayage va permettre à l’élève de valider ou d’invalider son ou ses hypothèses de
lecture. Dans ce travail, trois opérations cognitives sont mises en œuvre : l’élève doit repérer le
choix d’écriture, le nommer, le mettre en lien avec un élément de l’hypothèse. Nous proposons une
séance méthodologique d’une heure en classe de troisième.
Cette séance spécifique consacrée à l’apprentissage de l’étayage n’est pas forcément consécutive à
une
séquence méthodologique
centrée sur l’apprentissage global de la démarche. On peut envisager avec des élèves non initiés que
ce dispositif leur permette de découvrir ce qu’est une hypothèse de lecture. Par ailleurs, les
savoirs requis dans cette séance sont normalement installés en fin de 4ème.
Cette séance s’inscrit dans une séquence consacrée à l’analyse de la diversité des témoignages sur
la guerre de 14-18 et de leurs enjeux. Les textes étudiés sont extraits de l’anthologie « Ceux de
Verdun, les écrivains et la Grande Guerre » (Etonnants Classiques – Flammarion) et le texte donné à
lire dans cette séance est extrait des Croix de bois, de Roland Dorgelès (Albin Michel, 1919).
La tâche proposée consiste à nommer quatre choix d’écriture mis en valeur par le professeur dans
quatre versions du texte et à les relier à un élément d’une hypothèse déjà formulée.
Lire l’œuvre intégrale en cercles de lecture
Ce dispositif s’inscrit dans le cadre de l’étude d’un roman du XXIème siècle porteur d’un regard sur
l’histoire et le monde contemporains. La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel (Le
Livre de Poche) est une œuvre accessible en début de 3ème et ouverte, propre à susciter un débat
interprétatif en activant les quatre postures de lecture : la posture «
intro » par l’attachement aux personnages, la posture « trans » par les différents thèmes
abordés (l’exil, la fraternité, la folie…), la posture « intra » par les éléments textuels qui
détournent l’attention du lecteur ou préparent la chute, la posture « inter » par les œuvres
artistiques auxquelles le roman peut faire écho ( par exemple, le film Welcome de Philippe Lioret
ou l’album Là où vont nos pères de Shaun Tan aux éditions Dargaud).
Ce dispositif peut constituer une séquence à part entière
(plan séquence +
documents de travail séquence)
et être expérimenté dès le premier trimestre, après une première séquence à dominante lecture
analytique où seraient activés / réactivés les éléments de l’hypothèse de lecture. La lecture
autonome de l’oeuvre, qui précède la séquence (environ trois semaines), est accompagnée par la tenue
d’un journal de lecture. Ce journal engage l’élève
à adopter les différentes postures : « l’oeuvre et moi » (posture « intro »), « l’oeuvre et le monde
» (posture « trans »), « l’oeuvre et le travail de l’écrivain » (posture « intra »), « l’oeuvre et
ses échos culturels » (posture « inter »).
Ce dispositif s’inscrit plus largement dans le parcours du lecteur/collégien qui devient autonome :
parcours qui aura été balisé depuis la sixième.
Au préalable, de préférence en début d’année, les élèves auront répondu à un
questionnaire individuel afin que chacun
puisse exprimer son rapport au livre, au champ littéraire et à l’acte de lire. Ce questionnaire
pourra être repris dans le courant et /ou en fin d’année pour mesurer l’évolution des
représentations des élèves quant à leur rapport au livre et à leurs pratiques de lecture.
Évaluer la compétence de lecture
Évaluer l’acte de lire
Au cycle 3, en 6ème, la compétence de lecture silencieuse doit être évaluée au plus tôt pour
permettre des aides et des remédiations. Il existe de nombreux supports dans l’édition ou sur les
sites officiels. Cette évaluation de la compréhension est à réaliser dans une diversité de
situations pour bien identifier les difficultés à traiter :
Ecoute d’un texte lu (narratif ou explicatif) d’une trentaine de lignes et réponse à un
questionnaire (ouvert ou fermé) qui porte sur le sens global du texte et sur des informations plus
locales.
Lecture d’un texte (narratif ou explicatif) d’une trentaine de lignes et réponse à un
questionnaire à choix multiple portant sur des informations d’ensemble et quelques informations
locales.
Lecture d’un texte (narratif ou explicatif) sous la forme d’un texte à trous (technique du test de
closure) que le lecteur doit compléter (la forme utilisée consiste à occulter un mot tous les cinq
mots, quels que soient les mots).
Lecture d’un texte (narratif ou explicatif) suivi d’un questionnaire écrit ouvert portant sur les
informations essentielles à la compréhension d’ensemble. Possibilité d’un questionnaire oral
auprès de lecteurs en grande difficulté pour un diagnostic plus fin.
Cette évaluation formative ne nécessite pas le recours à la notation. Elle se limite à compter le
nombre de réponses réussies et à identifier les raisons qui ont conduit aux erreurs. Les épreuves
doivent être familières pour éviter qu’elles perturbent les élèves pendant leur passation. De même,
il est souhaitable que les élèves lecteurs en difficulté disposent d’activités qui les entraînent à
des tâches de progrès telles que l’anticipation, l’inférence, l’identification de connecteurs.
Pour une évaluation sommative de l’acte de lire en 6ème, on a recours à un double système :
Un recueil des performances à l’occasion d’activités de lecture (voir ci-dessus) qui met en
évidence l’évolution de la compétence « lire » ;
Une grille de critères personnalisée qui est bâtie à partir des réussites et des difficultés de
l’élève. Cette grille fait régulièrement l’objet de discussions qui portent sur les stratégies
utilisées par le lecteur, aussi bien quand elles réussissent que lorsqu’elles échouent.
Au cycle 4, c’est la compétence de lecture littéraire qui est l’objet principal de l’évaluation.
Évaluer la lecture littéraire
Développée tout au long du cycle 4 dans sa fonction formative, cette évaluation prendra
progressivement en 4ème-3ème une dimension sommative pour fournir un bilan critérié et/ou chiffré en
fin de collège. La médiation de l’écrit conduit à évaluer lecture et écriture, celle-ci
principalement observée dans sa fonction au service de l’acte de lire. Tout au long du cycle, on
alternera des modalités orales et écrites, sachant que cette évaluation exige du temps et des
conditions de passation de qualité.
La
grille d’évaluation
qui fera l’objet d’un accord entre l’enseignant et les élèves rassemble des critères autour de trois
compétences : rendre compte de sa lecture, décrire les éléments du texte à lire et interpréter.
Les critères ici retenus sont tous fondamentaux, chacun doit donc atteindre un niveau suffisant de
réalisation pour valider la maîtrise de la lecture. Le recours à la notation n’est pas indispensable
si l’on veut restituer qualitativement et analytiquement ce que l’élève réussit ou échoue.
Cependant, le recours à la notation est possible en répartissant les points sur chacune des trois
compétences (par exemple : 4 points pour rendre compte, 6 points pour décrire et 10 points pour
interpréter). Cette répartition est variable en fonction des objectifs d’apprentissage travaillés en
amont.