Aller au contenu

Nouveaux programmes : des programmes qui questionnent

Les Principales Modifications

  • l’apprentissage de la langue est devenu un élément de programme, avec une liste de notions à maîtriser (sur lesquelles les élèves sont susceptibles d’être interrogés à l’oral) ;
  • l’histoire littéraire reste centrale et organisée autour d’objets d’étude (4 pour chaque niveau) qui croisent des genres et des périodes (par exemple : « le théâtre du XVIIème au XXIème siècle » pour la classe de 2nde et pour la classe de 1ère) ;
  • la lecture donne lieu à des modifications en termes de programme (8 œuvres en 2nde : 2 romans et 2 pièces de théâtre en lecture d’œuvres intégrales + 4 en lecture cursive // 8 œuvres en 1ère dont 4 œuvres obligatoires et 4 en lecture cursive) et de modalité avec la mention du retour de la lecture linéaire pour les épreuves anticipées orales au bac ; à noter : les 4 œuvres intégrales de la classe de 1ère sont à choisir parmi une liste de 12 (3 choix par objet d’étude) ; un objet d’étude est renouvelé chaque année ;
  • le sujet d’invention a disparu de l’écrit des EAF (au profit du commentaire et de la dissertation en série générale et de la contraction / essai en série technologique) ; la proposition de programme de novembre 2018 faisait mention d’un dossier que l’élève constituerait à partir d’un carnet de lecture et de culture alimenté par un ensemble d’ « écrits d’appropriation » ; ceux-ci, initialement prévus pour être présentés à l’oral du baccalauréat, ne constituent plus qu’une modalité de travail proposée pour la classe.

Propositions et écueils à éviter

L’Introduction de la langue dans les programmes de lycée

Les difficultés langagières rencontrées par les élèves justifient ce choix. On peut toutefois se questionner sur la pertinence de l’évaluation retenue lors de l’oral des EAF; le texte officiel impose au professeur interrogateur d’évaluer uniquement la maîtrise de la notion à partir d’une occurrence présente dans le texte ; il peut demander d’effectuer des « manipulations » (par exemple transformer une phrase déclarative en phrase interrogative directe ou indirecte) mais en aucun cas il ne doit interroger sur la dimension sémantique, à savoir l’effet de sens créé par le fait de langue ; le risque est alors grand pour les élèves de ne pas développer de compétences langagières et de ne pas mettre leurs connaissances linguistiques au service de la lecture ou de l’écriture. Ceci nous paraît constituer l’objectif central de la maîtrise de la langue. (voir nos propositions concernant l’évaluation de l’étude de la langue au collège et notre recherche en cours sur l’étude de la langue)

La Culture littéraire

Nous pensons que la progression de la 2nde à la 1ère est pertinente avec une progression chronologique pour la poésie par exemple, avec l’élargissement de certaines périodes notamment concernant le récit et le théâtre en 2nde ; il nous semble plus facile de motiver de jeunes lycéens à la lecture avec des œuvres contemporaines. A noter : l’intérêt que présente l’étude de la presse à côté des objets purement littéraires. En revanche le fait d’imposer un programme d’œuvres identique pour tous les lycéens de 1ère ouvre la porte au «bachotage » d’élèves qui se précipitent sur les nombreuses publications mises à disposition par les éditeurs ; on est alors loin de la lecture interprétative personnelle d’une œuvre, de la notion de sujet lecteur, qui constitue le cœur de notre conception de la lecture littéraire. (voir nos expérimentations sur la lecture de l’œuvre intégrale au lycée)

La Lecture

Concernant la lecture on peut s’interroger sur l’existence de deux modalités qui nous semblent peu compatibles. D’une part le commentaire à l’écrit induit une lecture interprétative : l’élève est amené à formuler des hypothèses de lecture, à les valider ou non par une analyse détaillée, un relevé d’indices qu’il va mettre en lien pour construire du sens (voir nos travaux sur la lecture et sur l’hypothèse de lecture dans la rubrique au sujet de la lecture analytique du texte et de l’œuvre intégrale au Collège ) et d’autre part le retour à une lecture « linéaire » destinée, selon les concepteurs, à « sui(vre) le mouvement du texte et (à) en fonde(r) l’interprétation sur une analyse précise des principaux effets de sens » ; comment procéder à une analyse linéaire à visée interprétative sans avoir au préalable construit une vision d’ensemble du texte ? Nombreux sont les candidats qui, lors de l’épreuve orale, annoncent les mouvements du texte vus en classe avec leur professeur mais ensuite se livrent à un « catalogue de procédés » qui conduit à des interprétations (ou de la paraphrase) ponctuelles sans vision d’ensemble du texte. Par ailleurs on déplore que la disparition de la problématique qui était proposée à l’élève par le professeur interrogateur conduise les lycéens à apprendre par cœur des explications qu’ils n’ont pas toujours parfaitement comprises… on est loin, une fois de plus, de la formation d’un sujet-lecteur autonome… Notons que l’annonce faite par le Ministre de l’Education nationale au mois d’août 2023, concernant la diminution du nombre de textes à l’oral en série générale, qui passe de 20 à 16, rassure les enseignants (qui, pour un grand nombre, avaient anticipé dès la session de juin 2023 !). Ils vont pouvoir ainsi consacrer davantage de temps au travail de l’écrit, de l’oral, à des dispositifs innovants… mais cela ne suffira pas à redonner du sens à la discipline qui aurait besoin d’être questionnée en profondeur.

Carnet personnel de lecture et de formation culturelle

La constitution par l’élève tout au long de ses deux années de français d’un « carnet personnel de lecture et de formation culturelle » nous semblait offrir des perspectives intéressantes en terme de formation. En effet il représentait un « espace d’expression personnelle » et d’écriture important au moment où l’écrit d’invention disparaissait des épreuves du bac (voir notre rubrique au sujet de l’écriture au Lycée). Ce carnet ne constitue plus qu’une proposition, au côté des « fiches de révisions, travaux de synthèse » qui visent à développer la « réflexion personnelle » et « l’appropriation des connaissances » . En revanche, la mention des écrits d’appropriation » reste présente ; celle-ci est à interroger parce que sa définition reste floue ; toutefois la liste d’activités proposée dans le texte est large, les formes peuvent être variées et cela constitue un espace de liberté pour l’enseignant et pour l’élève. Il nous semble toutefois que ce « carnet personnel de lecture et de formation culturelle » est tout à fait approprié dans le cadre de la préparation à la deuxième partie de l’épreuve orale. En effet, l’élève va être amené à présenter une œuvre qu’il a lue pendant son année de 1ère et à donner son interprétation. On retrouve bien là une activité où le candidat est « sujet-lecteur », activité à laquelle l’élève doit être préparé tout au long de son cursus et pour laquelle le carnet peut devenir un bon outil d’apprentissage (voir nos propositions associées au carnet de lecture et aux EAF).

La Notion de compétence

On peut enfin être surpris, à la lecture de ces nouveaux programmes, par l’absence de référence à la notion de compétence (le terme n’apparaît qu’une fois, dans le préambule), même si les compétences visées se dessinent derrière les finalités annoncées ; ne court-on pas le risque de voir des enseignants se limiter à l’enseignement des savoirs ? Quelle cohérence avec les programmes de collège dans lesquels la notion de compétence est centrale ? Il nous semble indispensable que les professeurs élaborent un référentiel de compétences du français au lycée afin d’inscrire les éléments de programme dans la formation d’un élève lecteur et scripteur (voir notre proposition de référentiel de compétences). À ce titre nous pouvons être rassurés par le discours d’inspecteurs qui, lors de réunions d’information sur les nouveaux programmes, ont réaffirmé l’importance de l’apprentissage par compétences.

Conclusion

En conclusion, nous noterons que l’ambition du programme de 1ère en termes de savoirs littéraires et linguistiques va nécessiter la mise en place d’une formation solide en classe de 2nde, dans la continuité des apprentissages du collège ; en fin d’année de 2nde le lycéen aura dû acquérir des habitudes de lecture littéraire, une posture distanciée sur l’acte de lire comme sur l’acte d’écrire, et il devra faire preuve d’autonomie dans la gestion de ses apprentissages littéraires et linguistiques.

Du carnet de lecture à la seconde partie de l’oral du baccalauréat sur une œuvre

La parution des derniers programmes de français au lycée a été précédée de plusieurs projets dont un qui évoquait la mise en place d’un carnet de lecture (se reporter au chapitre 9 de l’ouvrage Le temps de l’écriture de F. Le Goff et V. Larrivé, qui traite du journal de lecteur) que les lycéens constitueraient au fur et à mesure de leurs lectures au lycée et qu’ils pourraient présenter lors de l’oral des Épreuves Anticipées de Français.

La proposition de carnet de lecture n’a pas été retenue dans la version définitive des nouvelles modalités des EAF mais la 2ème partie de l’épreuve orale, la présentation puis la discussion à partir d’une œuvre choisie par le candidat, en est une sorte d’aboutissement.

En effet, comment préparer au mieux cette épreuve sans une habitude contractée au cours des deux années de formation (dans la continuité de ce qui a été fait au collège), de lire et de rendre compte de sa lecture à autrui ? Et quel outil mieux approprié que le carnet sur lequel garder la trace personnelle de ses lectures ? Certes de multiples activités, dans le cadre du cours, peuvent être proposées pour préparer les élèves à parler d’un livre : rédaction d’une critique, simulation d’émission littéraire, projet de scénario d’une adaptation cinématographique, jeu du procès d’un personnage… Les propositions sont nombreuses, qui permettent de construire du sens tout en motivant les élèves.

Mais se pose-t-on réellement la question de ce que signifie « interpréter une œuvre », et permet-on aux élèves de se la poser ? Car c’est bien d’interprétation qu’il s’agit, les inspecteurs, lors des réunions de présentation des nouvelles modalités de l’épreuve, le précisent clairement : il n’est pas question pour l’élève de présenter un savoir sur l’œuvre ; ce qui signifie qu’il n’est pas question non plus, pour l’examinateur, d’attendre tel ou tel sens pré-établi de l’œuvre ; d’ailleurs, si l’élève peut présenter une œuvre au programme que l’examinateur aura toutes les chances de connaître, il peut aussi présenter un livre que l’examinateur n’aura pas lu… C’est donc bien la capacité à justifier sa propre lecture, son interprétation, qui est attendue et évaluée.

Pour cela nous proposons de permettre aux élèves de se questionner sur les différentes dimensions de l’activité interprétative.

La fiche de méthodologie est une fiche qui a été élaborée avec des élèves de 2nde suite à différentes exploitations de lecture cursive ; elle donne à voir à l’élève les différentes questions qu’il peut se poser lorsqu’il interprète une œuvre. L’exemple que nous proposons est le travail d’un élève de 2nde (travail dont seule la forme a été corrigée) et qui rend compte de sa lecture personnelle du roman Check-point de J. Ch. Rufin. Il s’agit d’une activité conduite en classe pour former les élèves à un propos construit et riche sur une œuvre, en leur fournissant des pistes de réflexion et d’analyse. L’interrogateur, le jour de l’examen, n’exige pas un exposé tel que celui-ci; il attend essentiellement que le candidat, après une brève présentation de l’œuvre, justifie son choix. C’est lors de l’échange qui va suivre que l’élève, habitué à se questionner sur les œuvres, pourra exploiter sa préparation et tenir un propos personnel sur sa lecture.

Ces documents montrent comment des élèves, au seuil du lycée, peuvent s’approprier l’activité interprétative et se questionner sur une œuvre puis tenir un propos sur leur lecture.